70 personnes réunies à Lomé pour parler ESS et institutions de microfinance engagées
Depuis une dizaine d’années, les Nations Unies reconnaissent pleinement la contribution de l’économie sociale et solidaire (ESS) dans la réduction de la pauvreté, l’égalité de genre, l’emploi décent, la protection de l’environnement et la cohésion sociale.
L’Afrique de l’Ouest, et le Togo en particulier, connaît une effervescence d’initiatives relevant de l’ESS. Malgré leur dynamisme, elles font face à des difficultés d’accès au financement, à une faible reconnaissance institutionnelle et à un manque de structuration sectorielle.
Le 9 juillet 2025, Entrepreneurs du Monde organisait à Lomé une table ronde « L’Économie Sociale et Solidaire : quelles contributions des Institutions de Microfinance engagées ? » pour nourrir la réflexion autour de la structuration de ce secteur et renforcer les liens entre les actrices et acteurs au Togo.
Le but était aussi de tirer des enseignements de l’expérience des institutions de microfinance sociale.
Autour de la table :
– Yawo Foly Adzomada, Directeur Exécutif d’Assilassimé Solidarité,
– Badjoumbena Bakole, Fondatrice et Associée Gérante d’Auréole Monde Innovation,
– Mohamed Attanda, Directeur Exécutif du réseau Microfinance African Institutions Network (MAIN)
– Baudouin Kola, Président de la Maison des coopératives du Togo, Délégué régional de l’ACI Afrique
Quelle est la place de l’ESS en Afrique ?
L’ESS est ancrée de longue date dans les pratiques en Afrique puisqu’elle est au fondement des modèles économiques pré-coloniaux, basés sur une économie communautaire, avant que l’économie se structure autour de l’exportation pendant la période coloniale.
Au Togo, dès les années 1990, des formes d’entrepreneuriat collectif ainsi que des coopératives financières ont vu le jour. L’entrepreneuriat social s’est par la suite développé mais sans outils adaptés, ces initiatives restent assez fragiles.
La tenue de Conférences internationales sur l’entreprise sociale et la RSE a favorisé les échanges avec le Gouvernement togolais sur le sujet ces dernières années. Un comité interministériel a travaillé sur un avant-projet de loi, qui reste à approfondir.
Les IMF peuvent-elles se revendiquer comme appartenant à l’ESS ?
La microfinance a été popularisée avec l’objectif d’être un outil de lutte contre la pauvreté. Certaines dérives localisées ont toutefois montré le besoin d’encadrer les pratiques.
Au niveau régional, c’est ce qu’a fait la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest en mettant en place un cadre réglementaire strict. Au niveau international, les Normes Universelles de la Gestion de la Performance Sociale et Environnementale sont devenues une référence en la matière.
Parmi la grande diversité d’institutions de microfinance – en termes de mission, de statuts et d’approches -, celles qui poursuivent des objectifs sociaux et environnementaux déclinés dans leur gestion quotidienne et suivis de façon rigoureuse s’inscrivent pleinement dans l’ESS.
Quelle réalité sur le terrain ?
Quoi de mieux que d’avoir des témoignages du terrain pour connaître, en pratique, les défis auxquels sont confrontés les acteurs de l’ESS ?
Ce témoignage s’est fait à deux voix avec Yawo Foly Adzomada, Directeur Exécutif de l’association Assilassimé Solidarité, institution de microfinance sociale créée par Entrepreneurs du Monde en 2012, et Badjoumbena Bakole, fondatrice d’Auréole Monde Innovation, entreprise sociale qui commercialise des produits menstruels lavables.
Les principes-clés de l’ESS ont été le fil rouge de la discussion.
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La finalité sociale ou environnementale de l’activité économique
Elle est inscrite dans l’ADN de ces deux structures et est déclinée pour chacune en objectifs spécifiques, en indicateurs de suivi et en bonnes pratiques de gestion.
La mission d’Assilassimé est d’offrir des services de microfinance sociale adaptés aux personnes vulnérables, ayant un accès limité aux institutions financières classiques, pour développer des activités génératrices de revenus et améliorer leurs conditions de vie.
Auréole Monde Innovation a été portée par la vision d’un monde égalitaire et durable où chaque personne peut exercer ses droits à la dignité et à la santé menstruelle.
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Une gouvernance transparente et démocratique
La gouvernance d’Auréole Monde Innovation repose sur un conseil des associés, composé à 40% d’une organisation de la société civile, à 30% d’un individu et à 30% d’un autre individu. Le chargé de recherche, de développement et d’action sociale veille au respect de la vision sociale dans les prises de décisions, et tout est fait pour que la voix de chacun soit prise en compte, avec le même poids.
Le conseil d’administration d’Assilassimé est composé de 5 membres dont 4 qui travaillent dans le secteur social. Les administrateurs vont régulièrement à la rencontre du personnel et des bénéficiaires, et se basent sur les rapports internes pour prendre les décisions.
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L’encadrement de la lucrativité
Pour les institutions de microfinance engagées, le cadre légal en Afrique de l’Ouest s’avère très exigeant. Les normes de conformité relatives à la baisse du taux d’usure, y compris pour les crédits de faible montant, et en termes de document d’identité, restreignent la capacité à toucher les personnes les plus exclues tout en équilibrant ses comptes.
Dans tous les cas, il est essentiel d’encadrer la lucrativité et de fixer des règles avec les parties prenantes, comme le réinvestissement de la majorité des profits dans le développement des activités ou le versement d’une partie des profits à une entité à but non lucratif – un choix fait par Auréole Monde Innovation.
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La question environnementale
Chez Auréole Monde Innovation, cet engagement se manifeste à travers la production et la distribution de produits menstruels lavables, qui limitent les déchets sur les territoires.
Assilassimé Solidarité propose quant à elle des services financiers pour acquérir des équipements de cuisson et d’éclairage modernes et sains. Elle a développé des formations en agroécologie à destination des agriculteurs et agricultrices, et a noué un partenariat avec Miawodo autour de la gestion des déchets.
• Le financement des entreprises sociales
Le rôle des investisseurs sociaux, y compris les banques coopératives internationales, a été souligné. Le fossé entre les subventions disponibles pour le démarrage et la structuration des organisations, et celles qui financent le développement et le passage à l’échelle, pose un vrai problème.
C’est ce que montre cette publication réalisée par un groupe d’ONG françaises. Les institutions de microfinance engagées peuvent elles-mêmes jouer un rôle dans le financement des initiatives de l’ESS.
La volonté des actrices et acteurs de l’ESS d’unir leurs forces
Plus de 70 professionnel·les de l’ESS, de la société civile, d’institutions de microfinance et les médias togolais spécialisés ont participé activement à l’événement. Ce succès traduit le besoin des actrices et acteurs locaux d’avoir des espaces d’échange pour discuter des enjeux, des opportunités et des difficultés rencontrées.
Pour poursuivre la réflexion, Entrepreneurs du Monde participera fin octobre au Forum Mondial de l’Économie Sociale et Solidaire (GSEF), qui se tiendra cette année à Bordeaux.
L’ESS sera par ailleurs au cœur du prochain numéro de la série Traverses, publié par le Groupe initiatives, collectif d’associations professionnelles de solidarité internationale. Ce numéro est piloté par Entrepreneurs du Monde et le GRET Madagascar.