Sens & Valeurs – Que savez-vous de la microfinance ?

Source : Sens & Valeurs n°21, Jan. Fév. Mars 2016

Monique Erbeia, vous êtes une professionnelle du secteur financier et, bénévolement, administrateur de l’association lyonnaise Entrepreneurs du Monde. Comment définir la microfinance ?

Selon le CGAP (Consultative Group to Assist the Poor, hébergé par la Banque Mondiale) la microfinance a pour objectif de fournir aux personnes à faible revenu (en dessous de 1.25 USD par jour) des services financiers abordables de qualité, pour financer des activités génératrices de revenus, stabiliser leurs dépenses de consommation et se prémunir contre les risques.
Elle touche aujourd’hui plus de 200 millions de bénéficiaires dans le monde dont 100 millions parmi les plus pauvres.

Est-ce efficace ?

La microfinance se révèle un outil puissant pour lutter contre la pauvreté. A la plus petite échelle de l’économie, elle accorde de très petits prêts à des personnes vulnérables. Dans des régions où l’économie informelle domine, elles peuvent, grâce à un investissement minime (une bicyclette, une machine à coudre, un petit stock), développer progressivement leur activité, rembourser rapidement leur prêt et générer, de façon durable, des revenus pour se nourrir, se vêtir, envoyer leurs enfants à l’école, épargner pour leurs dépenses de santé, préparer le développement futur de leur activité. Alors que, sans capacité d’investissement, leur projet quotidien se limitait à trouver de la nourriture pour la journée, les femmes et les hommes deviennent capables, avec un investissement minime, de générer des revenus leur permettant de pouvoir envisager un avenir meilleur.
Afin que la démarche soit durable et non aliénante, un accompagnement social soutenu est indispensable. C’est l’approche que soutient et défend Entrepreneurs du Monde. Cet accompagnement est financé, notamment, par les taux d’intérêt des prêts, très différents selon les pays et élevés selon nos normes occidentales. Mais ces taux ne sont pas un véritable enjeu pour les bénéficiaires qui n’ont que l’alternative des usuriers (jusqu’à 50% d’intérêts par jour) et dont les activités ont une profitabilité immédiatement significative.
La méthodologie est aujourd’hui éprouvée. Une gestion normée et auditée par des organisations indépendantes, des outils d’évaluation de la performance sociale constamment améliorés, la microfinance s’est structurée autour du partage des bonnes pratiques et de la transparence, des organisations de coordination (par exemple le CGAP) et des études sur les risques (Rapport : Microfinance Banana Skins 2014).
La microfinance, stable et décorrélée des évènements économiques, a très tôt intéressé les investisseurs institutionnels ainsi que les philanthropes qui y ont vu la possibilité de sortir de logiques de dons pour intervenir de façon plus active (venture philanthropie, impact investing). Pour un investisseur prêtant à une institution de microfinance, les rendements sont faibles (environ 1 à 2% au-dessus de l’EONIA) mais leur volatilité est extrêmement faible. Une diversification des prêts sur plusieurs zones géographiques permet de diminuer encore cette volatilité.

Quel est l’esprit d’Entrepreneurs du Monde ?

Depuis 18 ans, l’association Entrepreneurs du Monde met en oeuvre une microfinance très sociale, s’attachant toujours à proposer des produits et services aux personnes les plus vulnérables, dans l’écoute et le respect de celles-ci, proposant des services financiers mais aussi des services de formation (gestion et vente, prévention santé, éducation, droit, etc) et de soutien social quand nécessaire. Elle leur donne aussi accès à des lampes solaires et des réchauds améliorés dont l’impact sur la santé de ces familles, leur budget et l’environnement est considérable. Le prêt moyen est de 170 euros, remboursé en principe en 6 mois, avec un taux de défaut d’environ 1% (le taux de défaut des prêts étudiants américains avoisine 9%). Une fois remboursés, les prêts peuvent être renouvelés pour de nouveaux projets et conforter la situation des bénéficiaires. Le recyclage des prêts (et non l’utilisation unique de dons) permet donc d’enclencher un cercle vertueux qui développe ses effets de façon durable.
Entrepreneurs du Monde soutient 170 000 familles dans 9 pays, en Afrique de l’Ouest, en Asie du Sud- Est et en Haïti. Elle agit comme un incubateur de structures locales avec une vingtaine de partenaires locaux (microfinance et promotion de projets d’entrepreneuriat social – énergie, habitat, nutrition). Elle est financée par des fondations, associations et entreprises (39% en 2014), par l’AFD et autres organismes publics (39% en 2014) ainsi que par des dons de particuliers. Mais l’association a aussi créé la SAS Microfinance Solidaire, la Fondation Entrepreneurs du Monde, sous l’égide de la Fondation Caritas France (ISF, legs), et le Fonds de Dotation Entrepreneurs du Monde pour prendre des participations dans les entreprises sociales.